Chronique | Vers l’hyper-densité urbaine ?

Difficile de définir avec précision quelle sera la nature de notre cadre de vie pour demain car notre époque, comme celle de la fin du 19e siècle, rassemble toutes les situations paradoxales. La très haute densité urbaine, prévisible, sera-t-elle compatible avec l’activité humaine et l’équilibre de la planète ? Chronique prospective de Jean Magerand.

article publié dans Le Courrier de l’Architecte (16-03-2011) : http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_1585

Nous, occidentaux, goûtons à peine un confort finalement assez neuf, procuré depuis quelques décennies par une certaine forme d’abondance (de transport, d’alimentation, d’espace…) et de liberté (de circulation, de choix…), que de nouveaux objectifs de restriction voire de renoncement nous sont soudain – et de plus en plus fermement – assignés.

Nous évoluons à grands pas dans nos rapports à l’autre, à la famille, à la vie quotidienne, au réel, au présent, au territoire, au pouvoir, à la prise de décision et pourtant, nous vivons dans les mêmes logements, les mêmes villes, les mêmes paysages qu’il y a cinquante ans.

Ces distorsions sont à la fois sources de malaise et porteuses de révolutions qui ne demandent qu’à s’exprimer. Or, comme à la fin du 19e siècle, les nouvelles technologies sont en plein développement. Elles tendent à occuper une place telle qu’il est difficile de résoudre les contradictions qui affectent nos modes et cadres de vie, en dehors de ces apports technologiques.

Aujourd’hui, les échanges internationaux n’ont jamais été aussi actifs, la matière première, les matériaux, les produits circulent par millions de tonnes. Le plus modeste citoyen des pays riches peut se rendre à l’autre bout du monde en quelques heures. La production agricole a explosé. L’habitat est techniquement au point et hyper-confortable en toutes saisons, lorsque tous les équipements modernes y sont installés. La nourriture est permanente, diversifiée, biologique s’il faut. Les modes de transport sont complémentaires et desservent toute la surface de la planète. Les réseaux informatiques se multiplient et permettent en temps réel des communications avec le monde entier.

Pourtant, du fait de la sur-industrialisation et de notre manque collectif de prévoyance, en dépit de nos techniques de pointe, le spectre de la pénurie plane sur nos sociétés contemporaines, pays riches et pauvres confondus.

La pensée dominante fondée sur un développement exponentiel et ininterrompu a subitement baissé pavillon depuis le premier choc pétrolier. La voiture cède peu à peu sa position de technique reine au sein de la culture, de la domesticité et de la famille. La ville est progressivement sevrée de la circulation individuelle même si elle continue souvent à être dessinée pour les automobiles. Les individus sont plus mobiles, plus adaptables. Un nouvel état d’esprit a envahi la culture commune. Contre toute attente, l’heure est à la préservation, aux extensions douces, à la réhabilitation, au recyclage.

Parallèlement, les modes de vie évoluent et se modernisent. Familles recomposées, parents homosexuels, PACS, colocations, ‘couples internet’, habitats pluri-générationnels, etc. témoignent de nouvelles ouvertures d’esprit. Les expériences de vie s’élargissent. Pour autant, la notion d’habitat, au sens large, n’est pas remise en question, sauf à la marge.

L’impact des techniques nouvelles sur le sociétal n’est plus seulement dans les discours des prospectivistes, il est devenu tangible en s’installant grandeur nature dans la vraie société. Tunisie et Egypte sont devenus les laboratoires de cette vague d’hyper-organisation instantanée, porteuse d’un nouveau mode de révolution. Les jeunes, armés d’internet, ont montré que des mécanismes ancestraux avaient irrémédiablement muté, remettant en question une certaine idée de l’organisation sociétale et sociale. La notion de collectif a par là même pris un coup de vieux.

Ces nouvelles attitudes, tout à la fois, se confrontent et entrent en synergie avec le nouveau contexte de pénurie d’énergie et/ou de saturation des gaz à effet de serre qui semblent de plus en plus imparables. Il y a fort à parier que nous allons, dans les deux ou trois décennies qui viennent, assister à une révolution de la notion d’habiter et à une explosion des expérimentations urbaines ayant pour objectif de concilier de plus grandes exigences en matière de qualité de la vie et de nouvelles données environnementales toujours plus contraignantes. Faisant suite aux utopies d’un homme nomade, l’économie des terres agricoles et la lutte contre le gaspillage des déplacements inutiles nous livreront probablement, très bientôt, aux démons de la densité urbaine. Cette dernière deviendra même certainement, dans un avenir relativement proche, de la très haute densité.

Nous aurons, dans ce contexte, à aborder la problématique de l’hyper-fonctionnalité urbaine et architecturale puisqu’il faudra, selon toute vraisemblance, résoudre de nouveaux problèmes liés à une très forte concentration d’usagers. La difficulté sera amplifiée du fait d’une mobilité inter-territoriale des marchandises qu’il sera nécessaire de revoir à la baisse, manque de carburant oblige.

Nous aurons à faire face à l’accumulation et la résolution, dans des espaces toujours plus restreints, d’un très grand nombre de problématiques matérielles, fonctionnelles, techniques, sociologiques, anthropologiques, biologiques et environnementales. La multiplication des contraintes systémiques dans des espaces restreints, confrontée à des exigences toujours plus grandes du citoyen contemporain, réclamera à court terme la fabrication d’objets à très haute complexité et à très haute fiabilité.

Les Airbus géants sont peut-être, du point de vue de leur conception, de leur mise au point et de leur fabrication, les archétypes simplistes et mono-fonctionnels de ces objets complexes, multi et hyper-fonctionnels qu’il nous faudra collectivement dessiner, mettre au point puis rendre utilisables et surtout vivables. La performance de la ‘collaborativité’, nécessaire pour fabriquer l’Airbus géant, sera probablement encore améliorée afin de pouvoir élaborer des ‘entités habitables’ à l’échelle territoriale.

L’invention de nos nouveaux milieux naturels, agricoles, urbains et construits nécessitera de nouvelles méthodes et de nouveaux outils analytiques et ‘projétuels’. Il faudra envisager de nouvelles manières de projeter, de construire, d’aménager, de gérer, de recycler. La domotique, la robotique et l’informatique sont de toute évidence aux aguets pour prospérer dans ce nouvel environnement à haute complexité. La haute polyvalence des lieux, leur ‘utilisabilité’ optimisée, leur ‘hyper-transformabilité’, les hautes performances productives et de recyclage seront probablement très gourmandes en termes de techniques et méthodes nouvelles. Ce sont ces dernières qui permettront de rendre plus humaine la très haute densité urbaine et qui pourront rendre plus compatibles activité humaine et équilibres de la planète.

Face à cet univers d’abstraction et de technique, qui peut sembler effroyable à certains, nous aurons plus que jamais besoin de bon sens et, de notre point de vue, les concepteurs de tous ordres ont encore de beaux jours devant eux pour émettre des hypothèses ‘projétuelles’ sur nos villes, nos architectures et nos paysages futurs…

A vos ordinateurs, il n’y a pas une minute à perdre !

Jean Magerand