Chronique | A quoi rêvent les futurs architectes ?

Quand on parle de prospectives, quoi de plus normal que d’évoquer la génération montante des architectes. J’ai choisi de présenter cinq étudiants diplômables parmi ceux qui se sont inscrits dans le « Groupe prospectives » que j’anime à l’école d’architecture de Paris-la-Villette. Chronique Prospective de Jean Magerand.

Cette chronique est parue en première publication sur CyberArchi le 02 mai 2007

Dans les travaux de ces cinq étudiants sont remises en cause l’appréhension et la compréhension de l’histoire. Ici sont interrogés les nouveaux modes de perception, d’analyse et de confrontations des données d’un projet. Ici, aussi et surtout, sont interrogés de nouveaux processus ‘projétuels’. Que devient l’art d’assembler le réel, dans les démarches de conception, à l’heure où nous disposons d’outils à haute performance pour traiter l’information? Quelle valeur donner à l’outil informatique dans le processus créatif ? Quelle place pour la ‘projétation’ dans des univers tels « Second live » ? Quelles extensions pour les savoirs et les métiers de la conception ? Quelles nouvelles limites donner à la compétence du projeteur face à des puissances de calcul en temps réel qui augmentent de manière exponentielle ? Les thèmes abordés et les problématiques esquissées par les étudiants nous interrogent sur la mutation paradigmatique et sur ses conséquences pour le domaine de l’architecture.

Cédric Louard travaille sur les architectures Wydiwyb « What You Design Is What You Build ». Il s’intéresse au processus de construction des cathédrales du moyen-âge. Jadis, le « document de travail » était une maquette grandeur nature, confondue avec le bâtiment lui-même. L’architecte vivait sur le chantier, et la collaboration interprofessionnelle s’effectuait en temps réel autour du bâtiment.

Aujourd’hui, les nouveaux outils de traitement de l’information permettent de retrouver une situation similaire. La maquette virtuelle incorpore, en temps réel, les modifications de tous les partenaires de l’acte de construire, élaborant un « débat-pluriel », un « multi-logue » permanent.

Cédric Louard se propose donc de prendre appui sur les documents d’archives concernant la construction de la cathédrale St-Just et St-Pasteur de Narbonne. Il propose de mettre au point une démarche de travail qui s’inspire de cette collaboration en temps réel, en utilisant les nouveaux outils. Il travaille non pas de manière séquencielle mais de manière hypertextuelle puisque démarche de projet et démarche de chantier sont pour ainsi dire mêlées dans un dispositif agissant en temps réel. Comme modèle organisationnel de son architecture, Cédric Louard s’appuie sur le principe de résiliance du web. Son travail peut être suivi en temps réel sur http://www.louard.com/archiwiki 2.0/.

Benjamin Cabut élabore une démarche de projet personnelle fondée sur la programmation DAO. Il s’agit aussi, par ce travail, de construire un « regard digital » pour analyser de manière orientée l’élaboration d’un projet. Grâce à l’outil informatique, il segmente le processus complexe de ‘projétation’ pour le rendre plus contrôlable et malléable. La question posée est : comment intégrer la programmation (au sens informatique) à la démarche de projet en fragmentant judicieusement le travail d’imagination et le travail d’élaboration ?

L’objectif est d’utiliser la capacité de calcul de l’ordinateur pour offrir des variations et des déclinaisons possibles. La machine brasse systématiquement des ensembles de données. L’informatique, impassible, fait défiler les différentes possibilités, à l’image de Raymond Quenau qui, dans « Exercice de style », raconte 99 fois la même histoire mais de manière différente. A partir de cette répétition-différence est constitué un processus ‘projétuel’.

Sébastien Caput part de la constatation d’une stagnation dans l’évolution organisationnelle spatiale interne des immeubles. Il propose la réalisation d’un prototype de nouvel immeuble de bureaux intelligent, réactif, interactif avec son environnement interne (ses usagers) mais aussi externe (les conditions météorologiques, les bâtiments environnants, les évènements urbains). Le projet vise à mettre au point un système architectural intelligent, utilisant les nouvelles technologies pour améliorer la communication entre les individus.

Sur la piste de Nicolas Schöeffer, Sébastien Caput interroge la cybernétique, qui se définit comme « l’art de rendre l’action efficace », et dont l’un des domaines d’application est la communication. Pour élaborer son projet, il utilise les propriétés de la rétroaction dont la caractéristique est de réguler l’information entre deux systèmes en interactions. Le travail de spatialisation prend appui sur les nouvelles manières de travailler à partir d’une « maquette virtuelle », dans le cadre d’un travail collaboratif ‘projétuel’ redéfini.

Paul Ehret a suivi un enseignement aux USA et vient terminer ses études à L’Ecole d’Architecture de Paris-la-Villette. Il travaille, entre autres, sur les modes de génération aléatoire par programme informatique. Cette optimisation automatique, mais choisie, permet de sélectionner les solutions les plus performantes ou les plus intéressantes au regard de critères personnels pré-définis.

A ses préoccupations sont associés des termes tels que Topological geometry, Neo-darwinism, Epigenetic landscape, Déterministic Chaos.

Le regroupement de ces tests sélectifs mène ensuite au développement d’un objet architectural. Ce travail aboutit à la production de « pièces architecturales » directement issues d’un dessin CAD et ouvre sur une « Architecture en temps réel ». In fine, Paul Ehret s’interroge sur les rapports qu’entretient la précision informatique drastique avec les interactions du site qui, elles, sont sujettes à de nombreux ajustements en cours de projet.

Son travail s’applique à un site de château médiéval, au sein duquel il introduit un programme de musée. Le projet architectural de son musée est issu directement de ses investigations prospectives.

Mélanie Vennin poursuit l’objectif d’inventer de toute pièce, en 3 D, une planète constituée de continents, d’océans, de campagnes et de ville, à la manière de Google-earth. Il s’agit de mettre au point un processus de générescence paysager, architectural et urbain, qui puisse produire un univers de jeux vidéo.

Pour mener à bien ce travail qui peut paraître titanesque, l’outil informatique fournit ses capacités spécifiques. L’efficacité des outils algorithmiques, la spécificité de l’outil fractal, la programmation sont apprivoisés pour concevoir des entités territoriales virtuelles, urbaines ou paysagères de grande taille. Les copier-coller, symétrisations, retournements, inversions sont autant d’outils ‘projétuels’. La ville, les réseaux de rues, les gabarits de rue, les matières, les matériaux, les proportions, les prospects, les plantations, les façades, percements, parcs et squares ne sont pas générés par des contraintes constructives confrontées à un règlement de P.L.U. mais par des règles superposées, inventées pour l’occasion. Il s’agit de décaler l’invention d’un cran ; on n’invente pas la rue, on ré-invente le processus d’invention de la rue.

Une rupture avec la tradition des modes nouvelles

Ces étudiants sont las des sempiternels discours sur l’urbain et l’architectural, toujours réévalués sans jamais être vraiment renouvelés. Ils rompent de manière évidente avec le pessimisme d’une pensée post-soixante-huitarde devenue trop souvent désabusée et cynique. Cette dernière avait « étranglé les dernières vraies utopies architecturales avec les boyaux de la dernière utopie technologique ».

Dans cette logique, depuis les années 70, il apparaissait comme grotesque d’avouer qu’on s’intéressait aux NTIC, qu’on avait envie de préparer un » futur meilleur » ou qu’on voulait oeuvrer « pour le bien être de l’humanité ».

En fait, à n’en pas douter, ces pensées frais émoulues de l’architecture bravent les interdits et s’écartent prudemment mais de manière décisive de l’esthétisme modernisant qui fait les beaux jours des revues d’architecture depuis si longtemps.

Pour des non-initiés, ces nouveaux concepteurs peuvent sembler jouer les apprentis sorciers. Dans les faits, ils ne font pourtant que tenter de résoudre le « (…) paradoxe de la technique contemporaine (…) à la fois comme puissance humaine et puissance d’autodestruction », tel que l’évoque Bernard Stiegler dans La Technique et le temps. Ils s’interrogent sans honte sur la mutation du cadre de vie, provoquée par les nouveaux outils techniques et méthodiques. Ils renouent avec la recherche d’avant-garde technique.

Cette « nouvelle vague » d’architectes tourne ainsi la page de cinquante années d’architecture volontairement fonctionnalisée (années 50-60), et/ou formalisée (années 60-70), et/ou banalisée (années 70-80), et/ou passéisée (années 80-90), et/ou Moderne-fossilisée (années 90-2000) et/ou esthétisées (années 2000).

Ils expérimentent de nouvelles démarches d’analyse et d’assemblages, guidés par les principes des algorithmes génétiques ou des réseaux de neurones. Leurs recherches se distinguent par la volonté affichée de travailler sur des outils de ‘projétation’ capables d’opérer dans des territoires à grande complexité, même si ces territoires sont parfois virtuels. Là, la démarche de projet se re-vivifie et se ré-actualise dans un contexte d’espaces dématérialisés. Là, technologies nouvelles et pensée architecturale signent un nouveau pacte fondamental.

Ces futurs architectes, in fine, ne fuient nullement l’architecture ou la ville pour la science-fiction. Bien au contraire, ils investissent de nouveaux domaines sensibles à l’invention et à la conception pour mieux réévaluer la pensée architecturale. Comme dans la pensée de Viollet-le-Duc, de nouveaux regards sur le passé sont expérimentés, grâce à des outils méthodiques contemporains. Dans ce contexte, l’histoire de l’architecture est revisitée afin de lui faire dire encore et toujours des choses nouvelles et fondamentales. Voilà, en tout cas, que, peu à peu, se fait jour un certain « Positivisme techno-scientifique » conscient, réévalué et s’assumant comme tel. Voilà enfin un sursaut d’optimisme prospectif qui émerge face aux discours architecturaux « bien en vue » et « politiquement corrects « .

Une authentique pensée nouvelle

Ce qu’il y a de vraiment caractéristique et nouveau, au regard de tous les mouvements engagés dans les doctrines architecturales depuis la fin des CIAM, c’est que ces jeunes architectes fondent leur approche non pas sur une remise en cause des mouvements précédents, mais qu’ils surfent sur une véritable mutation culturelle naissant dans tous les domaines. Evidemment ce nouveau positionnement face à la virtualité, face au monde du travail qui mute, face à la technique, nous interroge sur la mutation ‘civilisationnelle’, sur l’évolution de nos cultures et sur l’évolution des domaines de la conception.

Il faudrait être insensible, inconscient et rétrograde pour ne pas comprendre que ces expérimentations ne procèdent aucunement d’une banale mode superficielle comme l’on en a tant vues depuis les années 70. Certes ces postures assument d’être doctrinales mais elles sont avant tout paradigmatiques et expriment leur parenté – et donc leur attachement – à la science de la complexité.

La nouvelle génération commence à redresser la tête et à fortifier son propos. Elle extrait instinctivement ce qu’elle estime être la quintessence du Monde d’aujourd’hui pour forger une pensée authentiquement contemporaine. En tout état de cause, ces discours de la nouvelle génération d’architectes s’articulent dans des dispositifs fondamentaux, très loin des autres discours doctrinaux de l’architecture dominante. C’est cette distance qui est la meilleure garantie d’un véritable renouvellement de la pensée architecturale.

Jean Magerand

Architecte, urbaniste et paysagiste, Docteur en science de l’info et de la com, enseignant à l’école d’architecture de Paris-la-Villette (magmor@club-internet.fr)